La Caravane Cinéma est une tournée cinématographique établie à partir d’un itinéraire bien défini dans une région choisie du Cameroun. Elle a pour principe d’organiser des projections plein air de films réalisés par des réalisateurs africain. Les films sont sélectionnés à la fois pour leur écriture cinématographique mais également pour la pertinence de leur regard sur la situation du Continent africain.
Dans les cultures africaines, il n’existe pas de lieux définis pour les artistes, l’art se trouve partout dans la vie. C’est de cette manière que nous voulons amener le cinéma aux gens, en l’intégrant dans les rues des villages et des quartiers populaires des grandes villes du Cameroun, au plus près des populations. Toucher toutes les couches sociales en allant dans des écoles, les tontines, les associations et les entreprises…
Nous travaillons autour de quelques films (trois ou quatre maximum) pour cultiver l’esprit critique des spectateurs et pour permettre aux gens des localités de se questionner sur les images qu’ils voient.
CONCRETEMENT
Chaque année la Caravane Cinéma choisit une région du Cameroun, définit un itinéraire et une programmation. Pour la première édition, le trajet de la Caravane a été choisi en fonction des lieux de tournage des films de Rosine Mbakam Les deux visages d’une femme Bamiléké tourné en 2015 à Yaoundé, Douala et Tonga, ainsi que Chez jolie coiffure qui dresse le portrait d’une jeune doualaise qui a émigré en Belgique. Ces films ont été projetés dans les quartiers populaires de ces trois villes avec le soutien de l’Ambassade de Belgique au Cameroun.
Avant la date de projection nous faisons un repérage dans le village pour informer les autorités locales, la population et choisir les lieux. C’est aussi l’occasion d’un premier échange. Le jour même, une partie de l’équipe fait du porte à porte pour donner les informations sur le film programmé, le lieu, l’heure de la projection ainsi que sur les activités autour de la Caravane.
Les projections se feront le soir. En journée, nous proposerons, entre autres, un petit atelier cinéma sur les lieux où passera la Caravane. L’idée est d’accompagner la réalisation d’un film documentaire très court (5 minutes maximum) sur le village, filmé par les gens du village. Le but est la familiarisation à l’outil et au langage cinématographique afin de permettre à la population de se filmer, de se voir et de questionner sa réalité.
LES MOTS DE ROSINE MBAKAM
« J’ai grandi dans un quartier populaire de Yaoundé. A l’époque, mes parents n’avaient pas assez d’argent pour acheter une télévision. Seule une maison du quartier en possédait une. Les programmes télévisés commençaient à 16 h. Il fallait venir tôt pour avoir une place à la fenêtre. Pour bénéficier d’une place à l’intérieur, il fallait laver la maison de ces voisins chez qui on allait regarder la télé. Je le faisais très souvent pour ne rien rater de ce qui se passait à l’écran. C’était pour moi le moment de la journée où je pouvais alimenter mon imaginaire et me connecter au reste du monde. Ce que je voyais me transportait dans un ailleurs inconnu pendant des jours. L’image suscitait en moi des envies et des rêves. Elle me permettait de prendre de la distance avec ma réalité en m’enveloppant dans une bulle qui me protégeait parfois de la dureté de la vie dans mon quartier. Ça me remplissait d’espoir de savoir que dans mon imaginaire tout était possible pour moi. J’avais la force d’avancer dans ma propre réalité. Nous prolongions le plaisir de ces séances télés, ma petite sœur et moi, en récitant les répliques de films, publicités et génériques… On se mettait en scène, on chantait et on discutait de nos personnages préférés.
Les films que je voyais m’ouvraient sur le monde mais pas assez sur moi, sur ma culture. Il y avait très peu de films africains encore moins camerounais. Mon imaginaire se construisait à partir de la réalité des autres populations. Je ne pouvais pas questionner mon histoire, ce qui m’entourait parce que je ne voyais pas assez ma réalité en images. Il m’a fallu du temps pour me décoloniser d’un imaginaire construit sur une réalité qui n’était pas la mienne. Je ne savais pas encore que les images que je voyais à l’époque déposaient en moi une envie de raconter mes propres histoires, un rêve de voir ma réalité et des visages qui ressemblent au mien sur les écrans. Aujourd’hui, je suis réalisatrice. Mes films sont vus dans le monde entier et pas assez dans mon propre pays où mon envie de faire du cinéma est née.
C’est ainsi qu’est née l’envie de créer le projet Caravane Cinéma. Je voudrais restituer ce que le cinéma m’a donné quand j’étais cette petite fille dans ce quartier populaire de Yaoundé. Un espoir, un rêve et un travail. Je voudrais donner la possibilité aux gens de voir des films réalisés par des réalisateurs africains et qui sont liés à leur réalité, afin qu’ils puissent construire un imaginaire propre à leur histoire, leur culture, leur réalité. L’idée de Caravane Cinéma est de permettre aux gens de se voir, voir leurs propres images pour qu’ils les acceptent, se questionnent, rêvent et s’affranchissent. »